26 novembre 2006

De la conjugaison avec après que

Ne t’enfuis pas séance tenante, cher lecteur ! Super Pédant Man n’est pas là pour te rebattre les oreilles lorsque tu utilises le subjonctif après après que. Ou pour être plus précis, pas uniquement.

Car si d’exaspérants moralisateurs prennent un malin plaisir à critiquer tour à tour l’emploi du subjonctif et de l’indicatif, ces derniers crient souvent simultanément à la face du monde leur incapacité à maîtriser une notion acquise à l’école primaire : la concordance des temps. Il y a fort à parier qu’il s’agit des mêmes jean-foutre qui se croient futés en corrigeant l’accent grave sur le mot évènement (alors que cette orthographe, en plus d’être tout à fait correcte, est bien plus cohérente puisque concordant avec la graphie du mot avènement ; n’hésite pas à conchier en retour ces obtus gourdiflots).

Ayant peine à admettre que la compréhension en semble si ardue, Super Pédant Man te livre une règle simple, valable pour toutes les expressions, que ce soit immédiatement après que, peu de temps après que, deux semaines après que ou sept milliards d’années après que et dont voici la teneur :

Une fois que, quand et lorsque doivent pouvoir se substituer aux expressions en après que.

Les règles élémentaires de la pédanterie enjoignant malheureusement à énoncer précisément même ce qui tombe sous le sens, bien entendu le sens des phrases change sensiblement, et cette substitution ne saurait intervenir qu’à des fins grammaticales. La simplicité de la conjugaison dans les phrases suivantes est pourtant d’une affligeante évidence :

Je fais souvent une sieste une fois que j’ai mangé.

Elle a refermé la porte lorsqu’il est parti.

Vois-tu ci-dessus la moindre trace de fut, eus, aie, aurais eu, fût, eût été ou autres délires obsessionnels grammaticaux ? Non, et c’est bien normal. Alors pourquoi, pourquoi semble-ce une gageure démesurée d’appliquer les mêmes règles de conjugaison à après que ? Faisons ensemble cet exercice d’une étonnante complexité, ami lecteur :

Je fais souvent une sieste dix minutes après que j’ai mangé.

Elle a refermé la porte juste après qu’il est parti.

Bravo, ce n’était pourtant visiblement pas une mince affaire, tant l’insulte faite à cette règle semble répandue.

Il est cependant temps d’ouvrir une parenthèse lacrymale et d’observer avec résignation que, tel un furoncle putrescent à la face de notre langue, l’emploi du subjonctif — que Le Bon Usage promet irrésistible — en lieu et place de l’indicatif est de plus en plus fréquent :

Je fais souvent une sieste dix minutes après que j’aie mangé. (beurk !)

Elle a refermé la porte juste après qu’il soit parti. (pouah, caca !)

Soit. Pour tout horrible qu’il soit, force est de constater que cet usage, par confusion avec avant que, fait chaque jour de nouveaux émules. Mais c’est un emploi que peu maîtrisent, le subjonctif passé n’étant pas affaire de candides débutants, et qui mène parfois aux saugrenues élucubrations d’ineptes butors se souvenant vaguement que l’indicatif est de mise dans ces constructions mais peinent à trouver le bon mode, tant l’école primaire doit leur paraître lointaine :

Je fais souvent une sieste dix minutes après que je mange. (bof !)

Elle a refermé la porte juste après qu’il fut parti. (non !)

Dans la première phrase l’emploi du présent au lieu du passé composé fait disparaître la notion de terminaison, et on se demande bien s’il s’agit de dix minutes après le début, la fin ou le milieu du repas. Dans la seconde phrase, on assiste à une violation flagrante de la concordance des temps qui n’a absolument aucune justification. Ces incohérents gribouillis sont légion même dans la littérature et leurs auteurs devraient se trouver des grammaires, leurs éditeurs des correcteurs et leurs lecteurs des ouvrages plus sérieux. Ces phrases sont d’ailleurs souvent l’œuvre de relecteurs dérapant lamentablement en croyant bien faire.

L’usage du subjonctif, même correctement, n’est pas sans inconvénient, notamment en raison de l’abyssale pauvreté sémantique qu’il introduit, ayant deux fois moins de temps que l’indicatif. L’absence de subjonctif futur permet d’exhiber un exemple flagrant de cet appauvrissement :

Si j’avais plus de temps, je ferais une sieste après que j’aurai mangé.

Si j’avais plus de temps, je ferais une sieste après que j’ai mangé.

La première phrase signifie que je vais manger, et que malheureusement je n’aurai pas le temps de faire une sieste après. La seconde phrase introduit une notion d’habitude : lorsque je mange, je n’ai jamais le temps de faire une sieste après. Utiliser le subjonctif ici transformerait à la fois aurai et ai en aie et ferait disparaître la nuance. Le rapport des barbares à la richesse est toujours bien actuel.

Cet article n’est malheureusement que château de sable face à l’océan des extravagances linguistiques dont nous sommes submergés, mais espérons qu’il aura su présenter la chose avec plus d’arguments que bien des manuels péremptoires et insipides.